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Localisation . Source Geoportail IGN

Localisation
Cette croix est située à Saint-Didier-au-Mont-d’Or, au niveau du croisement entre le chemin du Pinet à la Molière et le chemin Frédéric Roman. Elle porte le nom du ruisseau (le Pinet) s’écoulant dans le fond du vallon d’orientation nord-sud et situé à l’ouest de là où elle est implantée.

La croix fait partie d’un mur d’angle bordant le chemin Frédéric Roman.

Latitude: 45°48’36.5″N| Longitude: 4°47’28.3″E
Altitude: 302 mètres

Description, nature des pierres
La croix du Pinet est constituée de cinq pierres intégrées à un mur. Les pierres sont grises, en calcaire à gryphées et proviennent vraisemblablement des anciennes carrières de St-Fortunat. Certaines d’entre elles ne comportent pas de gryphées apparentes, comme cela peut se produire sur certains bancs de ce calcaire datant du Sinémurien (env 195 millions d’années). Leur texture au grain fin homogène leur donne un aspect très régulier et lisse.

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La croix du Pinet posée sur son socle, lequel repose sur 3 pierres intégrées au mur bordant le chemin

On trouve de haut en bas :

  • la croix elle-même, en pierre grise sans gryphées, haute de 114cm et large de 60cm. La section de la croix est octogonale. Les extrémités des 3 branches sont arrondies tout en respectant la forme octogonale de leur base.
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Extrémité de branche
  •  son socle, en forme de parallélépipède légèrement rétréci vers le haut. Longueur 102cm à 94cm, hauteur 31cm et largeur 53cm.
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Pierre du socle
  • et sous son socle, 3 autres pierres intégrées au mur, et sur lesquelles sont portées différentes inscriptions en relation avec la croix. La pierre inférieure présente une surface rectangulaire de 1,62m sur 0,75m et comporte de nombreuses gryphées. Elle est surmontée d’une pierre formant une légère corniche de 11cm d’épaisseur, en saillie sur 5cm, laquelle corniche reçoit une pierre grise de 106×76 cm.

Inscriptions et datations

Les nombreuses inscriptions permettent d’éclairer en partie sur le contexte et la possible datation de cette croix.

De haut en bas, nous pouvons lire :

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Base du croisillon daté de 1828 et pierre de socle datée de 1791

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porté à la base du croisillon,

et sur la pierre du socle :
Ô CRUX AVE (salut, ô croix)
bénite l’an 1791 par Sr Revel curé

En dessous, la pierre porte une longue inscription en la mémoire du donateur, Jean Louis Imbert :

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Pierre à la mémoire du donateur, Jean Louis Imbert (1791)

ELLE EST POUR LES
MORTELS LE CHEMIN
DE LA GLOIRE
PAR LA PIETE
DE JEAN LOUIS IMBERT
l’AN MDCCLXXXXI (1791)

Il s’ensuit des marques sur la dernière ligne qui résultent d’un « effacement » volontaire, probablement en lien avec la période révolutionnaire.

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Signature « Arguillière fecit » et mention CROIX DU PINET

La mention Arguilière fecit est portée à la base de cette pierre. Il s’agit de l’auteur, un dénommé Arguillière qui a fait (« fecit » en latin, 3ème pers. sing. du parfait indicatif) cette croix en 1791.

La pierre qui forme une légère corniche saillante comporte l’inscription CROIX DU PINET

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Ostensoir sur la pierre située à la base du mur

Et sur la pierre de base, un ostensoir a été représenté.

Mis à part le croisillon qui date de 1828, il est difficile de savoir si toutes les autres pierres, notamment celle arborant l’ostensoir et celle marquée « CROIX DU PINET» datent de 1791. Il est néanmoins certain qu’une croix a été réalisée en 1791 en même temps que son socle et la pierre du donateur. La croix de 1791 a dû être remplacée par la croix actuelle datée de 1828. Aucune croix ne figure sur le cadastre napoléonien daté de 1825. Il est possible que la croix de 1791 ait été endommagée voire enlevée lors de la période révolutionnaire, s’il on en juge aussi par les traces de martèlement en bas de la pierre commémorative.
A noter que la légende attribue la croix du Pinet aux Templiers (cf Collection « les Désidériades – 1997- p.42).

Pierre Arguillière, l’auteur présumé de cette croix
La croix, tout au moins celle de 1791, et les pierres de son socle et de sa base datées de 1791 peuvent être attribuées à Pierre Arguillière.

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Mention Arguillière fecit au bas de la pierre commémorative

Si le nom d’Arguillière apparaît clairement au bas de la pierre commémorative, ce n’est pas le cas pour le prénom. Il est néanmoins vraisemblable qu’il s’agisse de Pierre, né en 1761, seul tailleur de pierre de la famille à cette époque. Il était aussi géomètre à Saint-Didier-au-Mont d’Or, lieu-dit de la Fucharnière (source ADR 4 E 4155)
On peut noter qu’il a écrit 1791 en chiffres romains de la manière suivante : MDCCLXXXXI ; sans doute une variante de la forme plus académique suivante : MDCCXCI

Interprétations possibles et commentaires sur la composition de la croix

La gravure portée sur la pierre en mémoire du donateur apparaît quelque peu laborieuse, avec des espacements peu réguliers entre les lettres. Deux lettres comportent des essais ornementaux plutôt discutables : le E de ELLE, et le H de CHEMIN. Le graveur semble inventer au fur et à mesure de sa composition.

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Essai d’ornement sur le E de ELLE
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Essai d’ornement sur le H de CHEMIN
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Fleur dont le centre est marquée d’un G à l’envers

Un détail mérite une certaine attention : il s’agit de la fleur qui est insérée dans le texte, et de la lettre G inscrite à l’envers en son centre : « La stylisation d’une fleur emblématique, sans doute églantine ou rose sauvage est intéressante. La lettre G à l’envers, sans doute pour ne pas la donner à voir directement comme telle, s’impose comme le symbole à déchiffrer. Il pourrait s’agir d’un emprunt à la symbolique maçonnique (bien que la lettre G se trouve sur des clefs de voûte antérieures à la franc-maçonnerie. spéculative). La rose sauvage, ici à six pétales, serait alors l’équivalent de l’étoile flamboyante pentagramme ; l’une et l’autre englobent en effet la lettre G. On donne la lettre G comme symbole de Géométrie, la cinquième science dans le trivium et quadrivium des anciens. On connaît par ailleurs une autre occurrence de la lettre G sur la croix du hameau du Mont Thou ».
(Source : Jean-François Ferraton)

Il est possible que Pierre Arguillière ait été franc-maçon. Son métier de géomètre et la lettre G comme symbole maçonnique faisant référence à la Géométrie, permettent une telle hypothèse.

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Partie supérieure de l’ostensoir. L’ostensoir est surmonté d’une croix pattée, emblème des Templiers. C’est probablement sa présence qui a pu entretenir la légende selon laquelle la croix du Pinet originelle aurait été une croix de Templiers. A noter aussi la proximité avec le château de Fromente, qui dit-on aurait été une ancienne commanderie de l’Ordre des Templiers

Un autre motif mérite aussi attention : il s’agit de l’ostensoir représenté sur la pierre de base, qui pourrait être antérieur à la composition de la croix de 1791 et dont la pierre pourrait avoir été utilisée ici en réemploi. « Nous sommes dans l’emblématique religieuse. Au centre de l’ostensoir, le prêtre dépose une hostie consacrée pour l’adoration des fidèles. Ici, l’ostensoir comporte onze rayonnements, lesquels symbolisent la lumière du corps glorieux du Christ (la monstrance de ce corps glorieux est signifiée par l’ostension de l’hostie dûment consacrée). Le chiffre onze renvoie aux onze apôtres du Christ après la trahison de Judas. C’est donc un chiffre de perfection »
(Source : Jean-François Ferraton)

L’Ostensoir placé avec une croix de chemin fait potentiellement écho à la confrérie du Saint-Sacrement qui existait à Saint-Didier avant la Révolution. Comme déjà abordé lors d’un précédent article sur la croix de la Planche à Curis, de telles confréries entretenaient une dévotion au culte du Saint-Sacrement. Lors de la procession de la Fête-Dieu, le prêtre portait l’ostensoir avec l’hostie consacrée (le Saint-Sacrement) et les fidèles parcouraient avec le prêtre les chemins du village en faisant des stations. Compte tenu de l’existence d’une Confrérie du Saint-Sacrement à Saint-Didier, il est donc vraisemblable que cette pierre et la croix qui la surmontait aient servi de lieu de station appelée reposoir lors de telles processions. Cette hypothèse nous a été confirmée par Antoine Vincent, propriétaire et ancien agriculteur au Pinet, et qui tenait de son grand-père les récits de processions et de stations effectuées à cette croix lors de la Fête-Dieu. La pierre de base sur laquelle est représentée l’ostensoir se trouvait en nette saillie par rapport au mur actuel, et une nappe y était installée lors des processions pour accueillir l’ostensoir et son hostie consacrée.

Une croix à la vie mouvementée et pleine de mésaventures :
De souvenirs de voisins actuels et d’Antoine Vincent, cette croix a subi plusieurs dégradations successives et accidentelles au cours du temps. Si à l’origine elle se trouvait plus en saillie sur le chemin pour constituer un reposoir lors des processions de la Fête-Dieu, elle a dû être reculée pour être intégrée au mur actuel et ne plus constituer de gêne à la circulation croissante.

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Borne incendie devant la croix (années 1980 environ) Source: « Saint-Didier il y a 200 ans »

Durant la 1ère guerre mondiale, des soldats français ont malmené la croix et l’ont mise à terre. C’est Pierre-Antoine Vincent (1856-1929), propriétaire alors de la croix et du terrain la bordant qui dut payer un maçon pour la faire réparer (Source : Antoine Vincent, son petit-fils).

Dans les années 1980, il y avait même un poteau incendie qui masquait l’ostensoir !

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Calcite apparente sur la quasi-totalité de la surface de rupture (juillet 2015)

La dernière dégradation date du début de l’été 2015: l’une de ses branches a malencontreusement été cassée, vraisemblablement par un engin de travaux publics. La réparation a été effectuée au tout début de l’automne 2015. La rupture s’était produite à la jonction entre la branche gauche et le montant de la branche principale. Il s’est trouvé que la section découverte a laissé apparaître une importante veine de calcite d’une blancheur éclatante incluse dans la pierre grise de la croix. Cette veine de calcite, probablement ignorée du tailleur de pierre a fragilisé la croix. On peut d’ailleurs apercevoir sur la surface extérieure grise, une petite veine de calcite de teinte plus claire. C’est en raison de cette fragilité et des dégradations antérieures qu’une double agrafe a été scellée à la croisée des branches.

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Extrait du cadastre napoléonien – 1825 (Montage). La croix, située au croisement des chemins, n’y figure pas

La famille Imbert et le hameau du Pinet
Sur le cadastre napoléonien (1825), le hameau du Pinet est constitué de 2 groupes d’habitations mitoyennes, l’un situé au Nord de la croix, et l’autre situé au Sud. Ce hameau pouvait vivre en relative autarcie, car il disposait d’un lavoir (Sud), d’un four à pain (Nord) et d’un puits (Nord). Dans les habitations au Nord, se trouvait en 1791 la famille Imbert.

La famille Imbert a laissé de nombreuses marques dans sa maison. On y trouve notamment différents linteaux en bois et des manteaux de cheminées en pierre à gryphées arborant, entre autres, le nom de Jean Louis Imbert encadré par des rosaces à 6 pétales.

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Face avant d’un manteau de cheminée dans la maison de Jean louis Imbert au Pinet
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Détail central du linteau en bois de l’entrée de la maison de la famille Imbert, avec l’année 1803 surmontée d’un pentagramme. On aperçoit sous l’année une croix pattée, peut-être pour rappeler l’hypothétique origine templière de la croix du Pinet et du hameau du Pinet qui faisait partie du domaine de Fromente ? J Louis Imbert est aussi gravé de part et d’autre de l’année

Jean Louis Imbert (1747-1809) était cultivateur vigneron, voiturier et collecteur de fond pour la Commune de Saint-Didier (source « Saint-Didier-au-Mont d’Or il y a 200 ans » – Marcelle Fournier). Son père était Maître-charpentier tonnelier, tout comme deux de ses frères. Il est possible que des Imbert aient été des Compagnons, en considérant d’une part le linteau de bois situé sur le portail de leur maison daté de 1803 et arborant une étoile à cinq branches, et d’autre part les liens par mariages entretenus avec la famille Vincent, famille connue pour ses Compagnons-charpentiers. Michel Garnier rapporte en effet dans son livre « Carriers et carrières dans le mont d’Or lyonnais-  Tome3 » que Pierre-Antoine Vincent (un autre que celui déjà cité ci-dessus), Compagnon charpentier, tenait avec sa femme Eléonore Durdilly, une petite « cayenne* »  vers 1828.

* Cayenne : nom donné à une maison où prenaient pension les Compagnons du Tour de France. Cette maison d’accueil des Compagnons était tenue par une « mère » qui leur apportait une aide matérielle.

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Mention Sr Revel Curé

Le « Sieur Revel Curé », un prêtre constitutionnel
Il est intéressant de noter la mention « Sr » précédant celle de « Revel curé ». Cette mention signifiant Sieur pourrait avoir été utilisée dans le cas présent car le curé Revel avait prêté serment depuis le 21 novembre 1790, devenant ainsi un prêtre constitutionnel et citoyen.

Par son serment, il devint adjoint municipal et officier public. En examinant plus en détail les registres paroissiaux qu’il entretenait en tant que curé avant la Révolution, et les registres d’état civil renseignés après en tant qu’officier public, on note un changement dans sa mention de signature : jusqu’au 15 décembre 1792, il signait encore en tant que « Revel curé », puis, il signe les registres en tant qu’« adjoint communal et officier public », et ce jusqu’au 2 Floréal an VII (21 Avril 1799). Au-delà de cette date, ses fonctions d’officier ont cessé.

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Mention « Revel Curé » jusqu’en 1792 (Source ADR EDEPOT 194/10)
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Mention « Revel Adjoint municipal et officier public » jusqu’en 1799 (Source ADR 4 E 4161)

Sur le registre de 1792, à la date du 15 décembre 1792, se trouve le texte écrit par le maire de Saint-Didier et relatif à la modification de la tenue du registre d’état civil, juste sous la dernière signature de « Revel Curé »

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(Source ADR EDEPOT 194/10)

Nous Maire et officiers municipaux de la Commune de Saint Didier au mont d’or,
à la réquisition du procureur de la Commune à l’instant avons arrêté et clos le présent registre suivant le titre 6 de la loi qui détermine le mode de constater l’état civil des citoyens du 20 7bre (septembre) 1792 ; l’an 4 de la liberté, à Saint Didier le 16 décembre mil sept cent quatre vingt douze, l’an premier de la République française. Jean Vincent, Maire

Détail intéressant à relever en lien avec le curé Revel et la Confrérie du Saint-Sacrement : il existe un document qui n’est autre que la lettre d’un vicaire général datée du 3 juillet 1754 et relative à la « Confrérie du très Saint-Sacrement de l’Autel » (cf. Collection « Les Désidériades », bulletin de 1997, p.55). Or cette lettre est annotée de la main du curé Revel avec la mention « Revel curé 1801 ». Il faut rappeler que c’est justement le concordat de 1801 qui mit fin à l’église dite constitutionnelle… Le curé Revel pouvait donc à nouveau utiliser sa mention « Revel curé ».

Bibliographie :
Carrières et carriers dans le Mont d’Or Lyonnais, tome 3 – Michel Garnier – 2001
Saint-Didier-au-Mont d’Or il y a 200 ans – Marcelle Fournier et Marie-Dominique Lardoux – 1991
– Bulletins annuels de l’association la Vie en Couleurs, Collection Les Désidériades et notamment le bulletin de l’année 1997.
Ces ouvrages sont tous consultables à la bibliothèque de Saint-Fortunat.

Remerciements :

  • Agnès Milliand pour ses recherches documentaires minutieuses et fructueuses.
  • Jean-François Ferraton pour ses éléments d’interprétation de la croix.
  • Les propriétaires de la maison de la famille Imbert et Vincent au Pinet, pour leur accueil et leurs permissions photographiques.
  • Antoine Vincent, propriétaire et ancien agriculteur au Pinet, pour tous ses souvenirs de jeunesse si gentiment racontés.

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