Introduction

Le bassin des Vondières de Saint-Romain-au-Mont-d’Or est un ouvrage hydraulique à la fonction indéterminée cité par Michel Garnier dans son ouvrage « Souterrains et captages traditionnels du Mont d’Or » (p.67) :

La source de Vondière ou Vondières est mentionnée dans les documents anciens. La font Vondière traditionnelle est probablement ce qu’on appelle maintenant la Bordière. Ouvrage étonnant, se présentant comme une pièce d’eau encadrée de hauts murs de 5 ou 6 mètres de haut, avec des déversoirs et des vannes que le fouillis de ronces et de broussailles n’a pas encore permis d’étudier. L’eau arrive par voie souterraine (on distingue sous l’eau le haut de la voûte) et repart de même.

Cette citation de Michel Garnier ne pouvait qu’attiser la curiosité. En effet, mis à part une brève description dans cet inventaire des souterrains du Mont d’Or, nous n’avions retrouvé aucun écrit récent et détaillé au sujet de ce bassin, ni aucun relevé. C’est la raison pour laquelle nous avons cherché à réaliser un descriptif de ce mystérieux bassin.

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Vue d’ensemble dégagée. Hiver 2015.

Localisation

Ce bassin discret est situé sur une propriété privée dans une zone de broussailles à une altitude comprise entre 225 et 230 m NGF. Il s’agit d’anciens prés, progressivement gagnés par la végétation au dessus du bourg historique de Saint-Romain et du château de la Bessée. Le bassin est situé dans une zone en déclivité, dans un repli du terrain.

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Vue aérienne. Source : plu.grandlyon.com

Contexte géologique

D’après la carte géologique du Rhône et sa notice, le site étudié est situé en limite de différentes formations géologiques  :

  • Aalénien moyen (calcaire de Couzon), légendé I9b (couleur : violet)
  • Toarcien – aalénien inférieur. Marnes et calcaires à oolithes ferrugineuses, légendé I7-9a (couleur : violet foncé)
Extrait de la carte géologique du Rhône au 1/50 000. Source : BRGM.
Extrait de la carte géologique du Rhône au 1/50 000. Source : BRGM.

La présence de la source peut sans doute s’expliquer par le contexte géologique du lieu : les eaux souterraines traversant les roches fracturées de l’aalénien moyen viennent rencontrer la formation sous-jacente moins perméable des marnes et calcaires du Toarcien, provoquant dans ce repli de terrain la résurgence des eaux drainées par le vallon.

Sources cartographiques

Plan de Saint-Romain aux alentours de 1600

C’est sur ce plan que l’on suppose l’existence probable la plus ancienne du bassin des Vondières : on y voit un ruisseau traversant un espace avec un pigeonnier au dessus du château de Saint-Romain. La source de ce ruisseau est issue d’une sorte de dépression, peut-être déjà le bassin.

Extrait du Plan de Saint-Romain-de-Couzon aux alentours de 1600. source : AML 3S0251

Atlas des rentes nobles d’Arches et Fontaines. Dressé aux alentours de 1752.

Sur ce plan figure très précisément le bassin avec la légende suivante : « serve où est la fontaine de la Bourdière« . Le bassin est situé dans un champ légendé « Pré du Seigneur de Saint-Romain« , ayant pour lieu-dit « Lathiollère« . Ce champ, contigu au château de Saint-Romain et à son jardin possède aussi un pigeonnier, privilège de la noblesse, et deux allées qui longent le mur de propriété. Au delà de cet espace, des « terres et vignes » appartenant également au Seigneur de Saint-Romain.

Vue d'ensemble. Source : ADR 10G2034
Vue d’ensemble. Source : ADR 10G2034

Le bassin est dessiné selon un plan carré, avec un exutoire positionné respectivement dans chacun de trois de ses angles. Selon ce plan, l’exutoire central est à l’origine du ruisseau, alors que les deux autres s’interrompent rapidement. Une allée formant angle droit chemine au dessus du bassin. Le trait double plus prononcé au niveau de la limite parcellaire semble indiquer la présence d’un mur séparatif présentant dans l’angle droit deux petits et curieux renfoncements au niveau d’une zone de broussailles.

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Détail du bassin et des murs de propriété. Source : ADR10G2034

Cadastre napoléonien (1828) : le bassin n’est pas indiqué sur cette carte. Il serait situé dans l’angle de la grande parcelle n°147 légendée « p » (pré), la parcelle voisine n°146 est occupée par des vignes (légende « v »).

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Extrait du cadastre napoléonien – 1828 – source : ADR 3P1922

Carte géologique du Mont-d’Or lyonnais et de ses dépendances par A. Falsan et A. Locard. Publiée en 1866, cette carte fait apparaître la « Fontaine Vandière« . Un chemin reliant le creux de la vallée du ruisseau d’Arche et les hauteurs de Saint-Romain passe à proximité immédiate de ce point d’eau.

Carte géologique du Mont-d’Or lyonnais et de ses dépendances
Extrait de la carte géologique du Mont-d’Or lyonnais et de ses dépendances, par Falsan & Locard- 1866

Carte topographique au 1/2000 (archives Pierron – 2ème moitié du XXème siècle) : le bassin et son ruisseau figurent sur cette carte. D’après les courbes de niveau, le coin Est du bassin où se situe l’exutoire actuel est à l’altitude 227 m. Le ruisseau issu du bassin rejoint le ruisseau du Vallon d’Arches à l’altitude 215 m, le lit de l’ensemble s’élargissant en amont des premières habitations de Saint-Romain, juste avant le château de la Bessée, en formant un possible bassin ou une retenue d’eau.

Secteur des Vondières - Saint-Romain - Archives Pierron
Extrait de la carte topographique – XXème siècle

Autres documents

Archives départementales du Rhône, cote 10G2035.

Cette référence des archives nous a semblé intéressante à consulter car elle concentre différents documents allant de 1487 au XVIIIème siècle, spécifiquement dédié au tènement de la Thiollière (appellation ancienne des Vondières). Les documents juridiques contenus portent sur la mise à disposition du terrain par les chanoines-comtes du chapitre de Saint-Jean auprès du seigneur local de Saint-Romain, ainsi que des baux du terrain concerné. L’exploitation des multiples documents est toutefois incomplète, car rendue difficile (textes en latin et vieux français, calligraphie ancienne…). Nous ne retrouvons pas de mention faite du bassin, dans la description des biens mis à disposition, par exemple en 1535 : « maison vignes colombier et pré touchant… de la tyollière assises à St Romain de Couzon… pour six ans entiers… déclarées à lettres de bail… vignes mais colombier et pré.. ladite vigne où la plus grande partie d’icelle est plantée de Gamez… »  .

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Parchemin du XVème siècle. ADR10G2035

Une mention intéressante apparaît toutefois dans la Reconnaissance du 20 juillet 1661 de Monsieur Croppet de St-Romain, avec la présence d’un « chenevier » (« jardin, verger, chenevier et vignes dans lesquelles il y a un colombier… »). Le chenevier est un terrain sur lequel était cultivé le chanvre. Or le chanvre nécessitait d’être plongé dans un bassin pour en retirer les fibres (voir hypothèse développée plus bas pour l’utilisation du bassin).

Archives départementales du Rhône, cote 10G2041 : liève à Saint-Romain et Fontaines, vers 1788.

Le liève est un document fiscal de l’Ancien Régime qui sert au receveur des impôts pour faire payer les redevances seigneuriales. Celui-ci mentionne pour Saint-Romain les noms des tenanciers, la description sommaire des terres, la nature et le montant des cens (impôts). On y retrouve le terrain étudié, ainsi que son bassin, mais sans que sa fonction soit indiquée : « un pré situé au territoire d’Arches, contenant six bicherées, au septentrion duquel est situé la source et fontaine, ou toux de la Bourdière, partie d’allée et partie de terrain rapporté« 

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Extrait du liève à Saint-Romain et Fontaines, vers 1788. ADR 10G2041

Cette description est néanmoins intéressante car elle précise bien « source ET fontaine ». Il y avait donc non seulement la source, mais bien également un ouvrage qualifié de fontaine. A cette époque, le qualificatif de fontaine est néanmoins à interpréter au sens large comme « bassin ». L’usage du mot « toux » (aussi parfois orthographié thou ou thoux) est également particulièrement intéressant. Localement il peut désigner un trou, mais il permet aussi de désigner des galeries souterraines. Enfin, dans la Dombes voisine, le thou est l’aménagement de maçonnerie qui permet de gérer les niveaux d’eau et la vidange de l’étang artificiel (voir ce lien explicatif). Ce même aménagement est présent sur le bassin étudié (vannes martelières).

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Thou dans la Dombes : ouvrage permettant de réguler le niveau de l’étang artificiel.

Toponymie

Différentes appellations sont présentes. Ce bassin est généralement appelé bassin des Vondières, mais aussi bassin de la Bordière. On retrouve également sur le plan de 1752 le toponyme « Lathiollière ».

Vondières : par glissement phonétique ce terme pourrait venir du radical Fond- (source) ou encore Fondrière, désignant « un endroit d’un terrain (…) qui, souvent envahi par l’eau, est généralement marécageux, un trou tourbeux, une crevasse ou une faille » (source : Ortolang)

Bordière : Vient de borda, habitation, maisonnette en pleins champs; petite métairie. Le site étudié ne possède toutefois pas de petit bâtiment. Faut-il rechercher l’origine de ce toponyme dans la construction relativement imposante du bassin ou dans la présence passée d’un pigeonnier au milieu du champ sous l’Ancien Régime ? (voir le plan aux alentours de 1600 ci-dessus, montrant le pigeonnier).

Thiollière : Ce nom est porté dans la Loire et les départements voisins. C’est un toponyme fréquent désignant soit une tuilerie, soit le lieu d’où on extrait la terre à tuiles. A mettre en relation avec les terres argileuses des sols du Toarcien ? (marnes et calcaires). Cette explication paraît plausible, car Michel Garnier signale la présence récente d’une tuilerie à environ 300 mètres du bassin des Vondières (près de l’actuelle entreprise de serrurerie, dans le premier virage de la route du Mont-Thou) : les sols de ce secteur auraient donc été aptes à fournir la matière première pour produire des tuiles. Par ailleurs, le château de la Bessée a eu ponctuellement recours à des briques de terres cuites, dont on peut imaginer également une production locale, sinon proche.

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Recours à la brique de terre cuite pour la bretèche (élément défensif en surplomb) du château de la Bessée.

Description

Lors de la première visite, le bassin était totalement envahi par la végétation (ronces, lianes, lierre). Le relevé a pu être effectué en période hivernale, avec une végétation moins épaisse et après un léger dégagement.

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Plan du bassin. Dessin : David.
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Vue de la galerie de captage et du 1er bassin, lors de la première visite
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Vue d’ensemble lors de la deuxième visite
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Vue d’ensemble lors de la deuxième visite

Ce bassin est en réalité formé de plusieurs éléments distincts :

Une galerie de captage, servant à l’alimentation du bassin. Il s’agit d’une galerie souterraine immergée, voutée en plein cintre, d’un développement de quelques mètres, tout au plus. Le fond est muré et présente en son milieu un orifice rectangulaire dont la pierre à la base est légèrement saillante formant un petit déversoir. Cette galerie a pu être reconnue grâce à un camera immergée Gopro installée sur un manche de 6 mètres, par conséquent ses dimensions exactes n’ont pas pu être relevées.

(le film est disponible sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=LVGXEZfeWfk)

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Entrée de la galerie de captage
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Galerie voutée, fond muré présentant un orifice rectangulaire d’alimentation
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Orifice d’alimentation au fond de la galerie. Base saillante formant léger déversoir.
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Voute de la galerie de captage et mur ouest du bassin. Coupe établie par David.

 

Un premier bassin de forme trapézoïdale (longueur 7 m x 3 m de largeur en moyenne) dans le prolongement de la galerie de captage. Ce premier bassin est uniquement reconnaissable en période de basses eaux (septembre – décembre 2015). L’exutoire présent à l’opposé de la galerie de captage est aujourd’hui bouché et inaccessible. Il subsiste néanmoins les colonnes en pierre d’une première vanne martelière qui permettait de gérer le remplissage ou la vidange de ce premier bassin. A ce jour l’orifice de vidange n’est toutefois plus visible dans le bassin (envasé). Par ailleurs à cet endroit mais de l’autre côté du mur, le terrain est remblayé sur 2 à 3 mètres de hauteur, ne laissant plus apparaître l’ancien exutoire du bassin, peut-être sous forme de canal souterrain d’évacuation.

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Vue du bassin n°1, avec au fond la galerie de captage
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Vue du bassin n°1, avec au fond la galerie de captage
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Vanne martelière du bassin n°1
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Coupe de la vanne martelière n°1. Dessin : David.

La maçonnerie de la vanne forme deux colonnes qui reposent en saillie sur une épaisse dalle monolithe. Il reste une traverse de métal entre les deux colonnes, et une autre scellée dans la dalle monolithe, traverses qui devaient permettre de guider la tige permettant de libérer la bonde de vidange ou d’ajuster son débit. La vanne permettait vraisemblablement de vidanger tout le bassin et d’assécher la galerie immergée pour son entretien.

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Traverse métallique de guidage.

Un second bassin, est venu se superposer et doubler en surface le premier bassin. Il présente donc une hauteur plus importante (+2,35 m) que le premier bassin originel, conférant à l’ensemble hydraulique son aspect actuel (soit un bassin de 7 m x 8,2 m).

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Vue d’ensemble avec les deux vannes martelières

Un autre dispositif de vanne martelière dont il ne reste également principalement que les éléments en pierre, permettait de gérer le remplissage ou la vidange. Cette deuxième vanne martelière est placée de manière assez originale dans l’angle du bassin, lui donnant une forme légèrement arrondie. La maçonnerie de cette seconde vanne est différente de la première. En effet, elle n’est pas en saillie, mais intégrée au mur du bassin, qui confirme que ce dispositif d’évacuation est contemporain du mur du bassin dans sa configuration actuelle. Cette vanne martelière possède deux orifices d’évacuation à des hauteurs différentes.

A mi-hauteur, on observe le premier orifice de vidange, de section rectangulaire avec feuillures en pierre débouchant sur une petite conduite en pierre de même section (40 x 33cm). On peut aussi imaginer que ce trop-plein commandé « à la main » pouvait se boucher afin de faire monter l’eau à ras-bord du bassin et ainsi évacuer facilement les restes de feuilles et de corps flottants encombrant celui-ci.

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Seconde vanne martelière avec son trop-plein à mi-hauteur

La bonde circulaire constitue le second orifice d’évacuation, elle est clairement reconnaissable au fond du bassin. Sa hauteur correspond sensiblement au niveau haut du 1er bassin.

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Bonde d’évacuation au pied de la vanne martelière

Une traverse en métal est encore présente dans la partie supérieure, coincée dans les deux blocs qui supporte la margelle du dispositif. Cette margelle comporte un trou dans lequel devait passer la tige filetée servant à actionner la vanne. La traverse en métal comporte également un trou de guidage, ainsi que la pierre inférieure située à mi hauteur : la vis sans fin ou la tige de commande commandait donc bien le « bouchon » circulaire de la bonde situé en contre-bas.

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Trou dans la margelle (vue de dessus), permettant de faire passer la tige ou vis sans fin, pour actionner la vanne de vidange.

Le bassin des Vondières v.6b

Matériaux utilisés

Les pierres utilisées pour le bassin sont de gabarit moyen. Quelques gros éléments sont également présents : notamment dans les angles des vannes martelière, la margelle de celle-ci, la pierre monolithe à la base de la vanne n°1, les couvertines, qui sont des pierres de dimensions importantes et de bonne facture. Il s’agit de pierres équarries disposées en lits réguliers sensiblement de même hauteur, et liés entre elles avec du mortier de chaux. Bruno Rousselle de l’Espace « Pierres Folles » nous livre l’analyse suivante : « La texture (homogène), la structure interne (non planaire) et le mode de découpage et de taille (parallélépipédique et anguleux) des moellons de la construction principale assimilent fortement ces derniers à la pierre dorée (altérée et lichénée). Quelques blocs de ciret pourraient apparaître à la base (les pierres un peu arrondies et en voie de délitage). Quant à la pierre rouge, de par sa texture homogène amorphe (très fine) et sa cassure esquilleuse et à arêtes vives, il s’agit manifestement d’un bloc de silex, une chaille rubéfiée (ferruginisée), ou éventuellement brûlée (issue de réemploi ?)« 

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Blocs de calcaire présentant des chailles rubéfiés

Le mur sud dispose d’orifices de drainage en partie supérieure, pour éviter un excès de poussée des terrains entourant le bassin. La présence de ces orifices confirme également que les murs étaient assemblés à la chaux, et ne permettaient donc pas un écoulement de l’eau à travers toute leur surface. Le couronnement du mur possède un lit de blocs de dimensions plus importantes pour éviter une détérioration du rebord périphérique de l’ouvrage.

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Drainage du mur pour éviter une poussée excessive du sol et blocs supérieurs plus importants

Le couronnement du mur Ouest (dominant la galerie de captage) présente quant à lui une rangée de couvertines : il s’agit de longues pierres arrondies, conférant une certaine esthétique au bassin.

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Couvertines, mur Ouest
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Couvertines, mur Ouest

Fonctions possibles

Un naisoir (ou routoir), bassin pour faire rouir le chanvre. Le rouissage est la macération que l’on fait subir aux plantes textiles telles que le chanvre, pour faciliter la séparation de l’écorce filamenteuse d’avec la tige. Les fibres de chanvre servaient à produire des tissus ou des cordages. La fermentation ayant lieu pour cette séparation se fait grâce à un bacille appelé amylobacter. Or ce bacille est anaérobique, il prend donc l’oxygène dont il a besoin dans l’eau dans laquelle la plante est trempée. Mais cette opération de « trempage » avait des inconvénients pour la faune et la flore aquatiques, la disparition de l’oxygène de l’eau n’était pas sans conséquences pour le milieu aquatique. En outre, les odeurs nauséabondes se faisaient remarquer loin à la ronde : l’eau des routoirs devenait rapidement de couleur brun-jaunâtre, se putréfiait et était un foyer infect où se dégageaient des gaz délétères qui empestaient tous les alentours. La réglementation exigeait que les routoirs soient creusés à une certaine distance des habitations. Les eaux qui ont servi au rouissage étaient réputées excellentes pour l’irrigation ; les détritus solides qui se déposaient au fond du routoir sous forme de vase constituaient un engrais énergétique. Jusqu’au XXe siècle, de nombreuses fermes possédaient leur routoir appelé parfois « mare au chanvre ».

Le Traité de la fabrique des manoeuvres pour les vaisseaux, ou l’art de la corderie perfectionné, par Duhamel du Monceau (1769) décrit les caractéristiques d’un naisoir :

« une fosse de trois ou quatre toises de largeur (5,4 m à 7,2 m) et de trois ou quatre pieds de profondeur (0,9 m à 1,2 m), remplie d’eau ; c’est souvent une source qui remplit ces routoirs, et quand ils sont pleins il se déchargent de superficie par un écoulement qu’on y a ménagé. Il y a des routoirs qui ne sont qu’un simple fossé fait sur le bord d’une rivière, quelques-uns même, au mépris des ordonnances, n’ont point d’autres routoirs que le lit même des rivières ; enfin quand on est éloignés des sources et des rivières on met rouir le chanvre dans les fossés pleins d’eau et dans les mares ».

Le naisoir de Cailloux-sur-Fontaines est un bon exemple : vaste bassin rectangulaire alimenté par une source, l’exutoire se fait par un trop plein. Plus modeste naisoir, celui de l’ermitage Saint-Antoine à Poleymieux. Les caractéristiques d’un routoir sont présentes pour le bassin de Saint-Romain, bien que beaucoup plus profond. En revanche dans notre cas les eaux nauséabondes issues du bassin auraient dû traverser le village de Saint-Romain, et en premier lieu à proximité immédiate du château de la Bessée, chose plutôt incommodante pour le seigneur et sa famille. A moins que le débit du ruisseau d’Arches fut suffisant pour diluer l’apport d’eaux « usées » issues du bassin des Vondières.

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Naisoir de Cailloux-sur-Fontaines

Près des forêts se trouvaient aussi des « mares aux poutres » dans lesquelles trempaient les troncs destinés aux charpentes et constructions. (source : wikipédia). Le bassin présente un bon volume pour contenir des troncs d’arbres, mais il nous apparaît toutefois restreint en longueur. De plus, le site est aussi éloigné des forêts.

Autre hypothèse : Un vivier : les viviers des fermes et manoirs étaient parfois des lacs mais le plus souvent de simples étangs ou bassins creusés dans le sol, ou créés en barrant un cours d’eau. Ils conservaient des salmonidés (truites et saumons) ainsi que d’autres poissons et écrevisses dans ces pièces d’eau. Le tome consacré aux poissons de l’Encyclopédie Méthodique dite « Encyclopédie Panckoucke », donne quelques précisions sur les viviers traditionnels dans son tome consacré aux poissons (1787):

« Pour construire un vivier, on fait une large fosse qui a vingt ou vingt-cinq toises de longueur (soit environ 40 m), plus ou moins, suivant les circonstances où l’on se trouve. Lorsque le vivier est entretenu par une source, ou au moins par un courant d’eau; le poisson s’y maintient en meilleur état. Il est bon aussi qu’on puisse le vider, en ouvrant une petite vanne, lorsqu’on veut le nettoyer ou en retirer tout le poisson. »

Cette description du vivier traditionnel correspond bien à ce qui est observé sur le terrain, hormis la longueur du bassin, ici plus réduite. La raison peut être liée à la déclivité importante du terrain des Vondières, qui aurait rendu complexe la réalisation d’un vivier plus important notamment en termes de stabilité géotechnique de l’ouvrage. Toutefois, le positionnement d’un tel vivier à l’écart du château devait représenter une tentation pour le vol ou le braconnage du poisson élevé dans un tel bassin… Le vivier aurait été mieux positionné à proximité immédiate du château.

Le château de la Guerrière à Couzon-au-Mont-d’Or possédait un vivier, mais nous n’en possédons pas la description pour le comparer au bassin des Vondières.

L’hypothèse du lavoir semble à exclure, au moins pour le bassin dans sa forme actuelle : la margelle (rebord) qui entoure le bassin est plate (absence de pierre inclinée pour le lavage). Par ailleurs, une profondeur aussi importante du bassin ne se justifie par pour un lavoir, d’autant plus qu’aucun moyen d’accès ne permet de descendre à l’intérieur du bassin lorsque le niveau d’eau est plus réduit. Enfin, le bassin est éloigné de tout groupement d’habitation, y compris sur les plans anciens, alors que les lavoirs sont généralement situés à proximité ou dans les hameaux et les villages.

Le plan de 1752 nous indique que le bassin était une serve. Dans une ferme dauphinoise la « serve » était un bassin réserve d’eau pour les animaux. Le lavoir du Cendre à Poleymieux possède une serve : simple bassin rectangulaire de faible profondeur en amont du lavoir proprement dit. Dans son état actuel, le volume important du bassin de Saint-Romain ne s’explique pas pour un usage de serve pour les animaux. En revanche, on pourrait imaginer une réserve d’eau pour l’irrigation du pré situé en contrebas, irrigation facilitée par les vannes martelière permettant d’ouvrir à loisir le bassin et faire partir l’eau dans trois directions possibles (selon le plan de 1752), en fonction des besoins.

Actuellement, le bassin joue un rôle évident de régulation du débit de la source. Nous avons ainsi pu observer que pendant l’hiver 2015, particulièrement sec, le niveau du bassin était descendu en dessous du niveau de la bonde d’évacuation. Lors des fortes précipitations des 8 et 9 janvier 2016, le bassin s’est entièrement rempli, jusqu’au 2ème orifice d’évacuation, le niveau d’eau étant ensuite redescendu progressivement dans les heures suivantes. La source de la bordière semble donc très rapidement tributaire des eaux de pluies. La capacité de stockage du sous-sol du bassin versant des Vondières semble donc très faible. Ce rôle régulateur de débit faisait-il partie des fonctions voulues par les concepteurs du bassin ? On peut en effet supposer que le ruissellement brutal provoqué par celle-ci était en mesure d’endommager les cultures du champ à l’aval et d’éroder ces terrains. Le bassin aurait été un moyen de l’éviter.

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Vue du bassin rempli après les fortes pluies des 8 et 9 janvier 2016
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Débit à l’exutoire après les fortes pluies des 8 et 9 janvier 2016
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Vue du ruisseau après les pluies des 8 et 9 janvier 2016

Conclusion sur les fonctions possibles : ce bassin a connu au moins deux états de construction, le premier bassin était de dimensions et de volume beaucoup plus restreinte, et dans l’état actuel, ce volume a été augmenté de façon substantielle, à tel point que des vannes martelières étaient présente pour en gérer les débits. Au cours des âges, ce bassin a donc pu avoir des fonctions différentes. A l’origine peut-être simple « fontaine » pour abreuver le bétail, éventuellement lavoir même si rien ne permet de l’affirmer, l’accroissement conséquent de sa capacité dans son deuxième et actuel état confirme une fonction utilitaire nécessitant un gros volume d’eau. On peut dès lors imaginer qu’il aurait pu servir de naisoir, de vivier, de réserve d’eau pour l’irrigation, de bassin de rétention, sans qu’aucune de ces hypothèses ne prévale tout à fait catégoriquement selon les indices en notre possession…

Localisation par rapport à l’aqueduc romain.

Le bassin des Vondières est situé à une altitude comprise entre 225 et 230 m NGF. Le parcours de l’aqueduc romain est bien connu : une coupe de son canal est visible au bord de la route du Mont Thou à environ 250 m à vol d’oiseau en amont du bassin, à l’altitude 300m NGF environ. A ce jour, rien ne nous permet d’établir une quelconque relation entre le bassin des Vondières et l’aqueduc romain (trop loin, trop de dénivelé, pas d’intérêt à donner de l’eau en cours de parcours puisque celle-ci était à acheminer à Lugdunum).

Environnement du site

  • La voûte à proximité du bassin : quelques mètres au dessus du bassin, il subsiste les restes d’une voûte de pierre sèche au fond muré. Cet ouvrage correspond peut-être aux renfoncements marqués sur le plan de 1752 (dans cette hypothèse, la seconde voûte aurait été perpendiculaire, et n’est aujourd’hui plus présente). Abri pour animaux, local de stockage ? De par sa proximité avec le bassin, sa fonction y était sans doute liée.
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Renfoncement voûté au dessus du bassin.
  • le château de la Bessée et l’utilisation possible de l’eau dans ses caves ?

    A ce jour, nous n’avons malheureusement pas eu accès aux caves pour vérifier cette hypothèse.

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Caves du château de la Bessée

La question du devenir du site et de sa préservation

Sur le plan local de l’urbanisme, en 2015, le bassin se situe en zone « AU2 », zone que la collectivité considère comme pouvant faire l’objet d’une urbanisation à moyen / long terme. Le bassin étudié et ses abords représentent une très faible emprise de cet ensemble parcellaire. Ils constituent des éléments patrimoniaux intéressants. Sans remettre en cause les choix qui seront portés par la collectivité et les propriétaires des parcelles sur ce secteur, nous pensons que ces éléments méritent d’être préservés, voire mis en valeur, dans l’hypothèse d’une opération globale d’aménagement de ce secteur. Ils sont d’ailleurs susceptibles d’apporter un certain cachet et une plus-value en termes d’agrément, pour peu qu’ils soient bien intégrés à la réflexion. Le bassin et le ruisseau de la Bordière peuvent également présenter un intérêt écologique (zones humides) et mériteraient de ne pas être enfouis ou busés.

Par ailleurs, l’entretien régulier et le curage du bassin sont nécessaires pour assurer le drainage du terrain et éviter les risques d’instabilité du secteur. La source ne doit pas s’envaser, le bassin ne doit pas se boucher, et l’eau doit pouvoir continuer à s’évacuer pour éviter toute formation de poche d’eau susceptible de se libérer subitement ou d’endommager les terrains en amont ou en aval. Lors des fortes pluies des 8 et 9 janvier 2016, nous avons constaté que le bassin joue pleinement un rôle de rétention, régulateur du débit du ruisseau aval.

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Extrait du PLU – 11/2015 – Source : Métropole de Lyon

Ont contribué à cet article et aux relevés :

  • Luc Bolevy
  • Pierre de Laclos
  • David
  • Bruno Rousselle
  • Yann Coric
  • Flavien Lehoux
  • Cedric Leclercq
  • Agnès Milliand

Remerciements :

  • Madame de Gercourt, qui nous a permis d’accéder et d’étudier ce bassin.
  • Madame Gelin, adjointe au maire de Saint-Romain
  • Bernard Coquet, association Vivre Saint-Fortunat

Précision : le bassin étant situé en terrain privé, nous demandons aux éventuels visiteurs de ne pas s’y rendre sans l’autorisation de son propriétaire.

Télécharger l’article au format pdf : Le bassin des Vondières v.6b